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La première fois d'Olympe de G.

  • Une dernière fois d’Olympe de G. est un film hybride et engagé.Hybride dans sa forme puisqu’il lie avec brio film d’auteur, documentaire et film érotique. Engagé car il aborde de nombreux sujets et permettra au téléspectateur de se questionner sur le droit à l’euthanasie et les conditions de prises en charge des personnes âgées, le consentement dans la sexualité, les différences et la tolérance et l’importance du female gaze. Vaste programme pour un film qui sera diffusé dans la case réservée à l’érotisme sur Canal + et pourtant la jeune réalisatrice est convaincue que filmer le sexe ne devrait pas être ghettoïsé, que le genre du porno se doit d’être autre chose qu’un simple support masturbatoire. Il doit pouvoir ouvrir des horizons sexuels inattendus. Dans sa volonté de brouiller les frontières entre porno et cinéma avec un grand « C », Olympe a fait appel à Brigitte Lahaie, icône du cinéma porno des années 80-90 en lui offrant le rôle principal, celui de Salomé 69 ans qui décide avec l’aide complice de sa voisine de pallier, Sandra, une jeune documentariste d’organiser sa « dernière fois » et d’en faire un objet documentaire et expérimental. Suite à une annonce passée dans un journal (à l’ancienne donc), elles vont toutes les deux recevoir tour à tour les prétendants. Et si cette dernière fois était aussi une première fois ? Rencontre avec celle qui réalise son premier long métrage, Olympe de G. Un nom, qui va certainement en réconcilier certaines avec le genre du porno.

 SB : Il est vrai que l’on a tendance à cristalliser et sacraliser « les premières fois », à contrario, on ne parle jamais des « dernières fois ». Est-ce dû à notre peur de la mort ? Pourquoi avoir fait le choix de ce point de départ ?

Olympe de G : Je pense que dans l’écriture du film, il y avait une volonté de prendre le contre pied de la représentation des corps jeunes et de la fêtichisation des débuts de l’expérience sexuelle. Je voulais mettre en avant la beauté qui réside aussi dans les corps expérimentés. La triste beauté des dernières fois, c’est qu’elles nous échappent et que la plupart du temps on n’est pas conscient.e.s de vivre notre dernière fois. On a rarement l’opportunité de les vivre en conscience. Dans sa démarche, Salomé nous démontre qu’on a le pouvoir de disposer de son corps, jusqu’au bout, jusque dans la mort. Elle va s’offrir l’opportunité de vivre sa dernière fois en toute conscience. C’est un vrai contre pied à la sacralisation que l’on met dans la perte de la virginité par exemple. C’est aussi une façon de dire que l’on peur faire l’amour jusqu’au bout de sa vie. La sexualité peut être avec nous jusqu’au bout du bout.

Je pense que dans ce film il y a une volonté de nous confronter à notre peur de vieillir en tant que femme. Pour ma part, j’ai ressenti cette peur à maintes reprises. Je suis une femme de 37 ans et j’ai beau avoir essayé de dé-construire beaucoup de choses et de reconstruire une vision de moi-même décomplexée, qui lutte pour se défaire des injonctions, il m’arrive cependant de ressentir une certaine angoisse par rapport au vieillissement de mon corps. Travailler sur le film m’a fait beaucoup de bien. En lisant des manuels de sexualité pour les personnes de plus de 70 ans, je me suis rendue compte qu’on avait tous les mêmes problématiques. On reste des êtres sexuels et sexués. Ça m’a beaucoup apaisé de travailler sur ce personnage désirant et désiré qu’est Salomé.

On parle de plus en plus du féminisme dans le milieu du porno. En quoi votre film est-il représentatif de ce courant ?

Parce que c’est un film qui a été écrit par des femmes, produit par des femmes, réalisé par une femme. C’est tout simplement un regard de femme sur un personnage de femme et il me semble que c’est ça la démarche féministe. C’est de pouvoir donner de la visibilité aux histoires de femmes dans une industrie encore très/trop masculine. Que ce soit dans le milieu du porno comme dans celui du cinéma traditionnel.

Faire exister des récits où les femmes sont des sujets, c’est une démarche féministe. Il y a une large place accordé au consentement et je m’attaque aussi aux stéréotypes sexistes et à l’âgisme.


N’est-ce pas rare de voir ce type de film sur Canal + ? Pensez-vous que cela soit le marqueur d’une évolution voire d’une révolution ?

Canal + investit dans un porno féministe par an. C’était Ovidie, et maintenant c’est Anoushka et moi. Nous serons en alternance d’une année sur l’autre. Ce qui pourrait réellement changer la donne ce serait un succès commercial. Donc il faut garder espoir pour que puisse s’opérer une révolution.


Brigitte Lahaie a le rôle principal de votre film, n’a t-il pas été difficile de l’avoir dans votre casting? Avez-vous construit votre scénario en fonction et en collaboration avec elle pour le personnage de Salomé ?

Quand je lui ai écris, je pensais qu’elle refuserait. Le rôle de Brigitte est uniquement érotique mais on ne peut pas forcer qui que ce soit à tourner dans un film porno. Si elle avait émis un doute je n’aurais pas insisté. C’est une personne forte et qui n’a jamais renié sa carrière dans le porno, mais c’est aussi une actrice qui sait jouer la comédie. Une actrice qui est à l’aise avec la nudité c’est rare. Quand elle a accepté de bosser sur le projet, nous sommes passés en phase d’écriture et nous l’avions en tête Alexandra Cismondi et moi.


La pénétration n’est pas au centre de vos préoccupations. Jacques Waynberg parlerait plus d’érotisme que de sexualité lorsqu’il n’y a pas de coït à proprement parlé, qu’en pensez-vous ?

C’est une définition de mec, c’est très phallocentré. Pour moi, il y a sexualité dès qu’il y a du désir, ça peut même être avec soi-même. Je ne suis pas du tout d’accord avec lui.

J’avais envie que le film soit clitocentré. C’était ma volonté, qu’il soit présent dans toutes les scènes. J’aurais adoré que le film puisse se passer totalement de pénétration, ça aurait été un défi mais ce n’est pas encore possible dans l’industrie du porno actuelle. J’aimerais pouvoir mettre l’accent sur le côté actif du ou de la pénétré.e .


Quel a été le travail de préparation en amont ? Vous questionnez différents sujets de société forts, telle que la vieillesse, l’obsolescence programmé de l’être humain, les conditions de prises en charge des personnes âgées et l’euthanasie… Qu’elle a été votre manière de les appréhender ?

J’ai beaucoup lu, j’ai regardé des documentaires, ça a été un vrai travail de recherche avec Alexandra. Il y a aussi des podcasts qui m’ont aidé. Je pense à la vieille marmite, un podcast à soi…

Vous êtes une réalisatrice, féministe, militante fidèle, vous avez une bande d’amis et de collaborateurs que l’on retrouve dans votre podcast VOXX ? Dans votre podcast l’Appli Rose …

Oui, c’est une clique. J’ai un parcours de militante qui est chaotique. J’ai été désavoué par toute une partie du porno alternatif, d’une part à cause d’un conflit avec un ex acteur et amant et aussi parce que je suis perçue comme pas assez queer…Les milieux militants sont des milieux très durs, dès que tu as une opinion différente, il faut pouvoir rentrer dans des chapelles. Quand tu as des relations de travail, saine, transparente c’est hyper précieux alors autant les cultiver. Les relations de confiances sont précieuses. Pour Salomé ça a été l’occasion de travailler avec des performeurs que je ne connaissais pas, notamment des performeurs français.

Sur la forme, vous utilisez souvent des plans serrés, il y a un côté presque artisanal que vous cultivez, caméra embarquée ou Gopro. Le rendu est vivant, captivant, l’atmosphère oscille entre nostalgie, érotisme et hyper réalisme. Quelles ont été vos techniques pour avoir ce rendu ?

L’idée de base, c’est un faux documentaire avec l’esthétique qui va avec, la camera embarqué qui bouge pour détruire les codes du porno. J’aime bien rester proche des sexes, j’aime qu’on puisse y voir la beauté des corps. Il y a des moments où ça confine à l’expérimental ( c’est pixelisé, on cadre à l’envers). Je voulais jouer sur la matière picturale.

En ce qui concerne le matériel, on a tourné avec deux téléphones. C’était aussi une question de budget. Cela me permettait d’avoir deux caméras par sécurité toujours. Sandra l’un des deux personnages principaux avait tout le temps une camera fixe et une camera embarquée au poing.

Vous usez du female gaze, pouvez-vous nous le définir et pensez-vous qu’un homme y trouvera son compte ?

Il faut lire le bouquin d’Iris Brey sur le sujet. Pour moi c’est un double mouvement de contrepied. Il y a l’érotisation du corps masculin par une femme et une perspective féminine dans l’expérience et le récit.

Je ne comprends pas en quoi un homme hetero, ne serait pas intéressé par une perspective féminine sur le sexe. Si il excité par les femmes pourquoi un film qui focalise sur leurs fantasmes intimes ne les toucherait pas. C’est d’ailleurs mon aspiration, que les hommes aussi y trouvent leur compte.

Une dernière fois de Olympe de G avec Brigitte Lahaie et Alexandra Cismondi.

Diffusé sur Canal + à minuit le 6 juin 2020.